Amour de soi et amour propre

En essayant de concevoir l'homme à l'état de nature (je le répète, il s'agit d'une hypothèse méthodologique, et non d'une réalité historique que prétend dépeindre le philosophe : il s'agit de pouvoir penser le passage de la nature à la culture, et non de dire ce qui a effectivement été!) nous avons suivi les traces de Rousseau, qui conçoit l'être humain animé originellement par l'amour de soi et la pitié. C'est un être amoral, solitaire, qui ne connaît pas la violence.

Sorti de l'état de nature, Rousseau pense la transformation de l'amour de soi, qui est en fait la conservation, en amour propre, qui est égoïsme et contemplation de soi. La société, certes, permet, par les conventions conclues entre les hommes, de concevoir une égalité légitime, mais elle est aussi un état dans lequel l'homme a perdu cette simplicité originelle : il se compare aux autres, les relations sociales sont marquées par la comparaison et la jalousie perpétuelle.

Voici un extrait du traité de pédagogie de Rousseau, dans lequel est précisée la distinction entre amour de soi et amour propre (Emile ou de l'Education, IV) :

L'amour de soi, qui ne regarde qu'à nous, est content quand nos vrais besoins sont satisfaits ; mais l'amour-propre, qui se compare, n'est jamais content et ne saurait l'être, parce que ce sentiment, en nous préférant aux autres, exige aussi que les autres nous préfèrent à eux, ce qui est impossible. Voilà comment les passions douces et affectueuses naissent de l'amour de soi, et comment les passions haineuses et irascibles naissent de l'amour propre. Ainsi, ce qui rend l'homme essentiellement bon est d'avoir peu de besoins et de peu se comparer aux autres ; ce qui le rend essentiellement méchant est d'avoir beaucoup de besoins et de tenir beaucoup à l'opinion. Sur ce principe, il est aisé de voir comment on peut diriger au bien ou au mal toutes les passions des enfants et des hommes. Il est vrai que ne pouvant vivre toujours seuls, ils vivront difficilement toujours bons : cette difficulté même augmentera nécessairement avec leurs relations, et c'est en ceci surtout que les dangers de la société nous rendent les soins plus indispensables pour prévenir dans le cœur humain la dépravation qui naît de ses nouveaux besoins.

Cette réflexion de Rousseau peut également faire écho au cours sur le bonheur : le malheur vient de ce que l'homme ne peut plus, en société, retrouver la transparence originelle de soi à soi et de soi à autrui, car s'intercalent sans cesse les biens, les représentations, produits de la société.

La pensée de Rousseau, dans l’Émile, consistera alors à tacher non d'éloigner son élève de la société, mais qu'il puisse y évoluer le cœur content, en préservant la voix de la pitié et de l'amour de soi, et en se préservant des inutiles et nuisibles artifices que la société façonne.

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